Normal, David Marin?

Normal, David Marin?

J’ai commencé par jalouser David Marín : je l’ai rencontré alors qu’il était « recherchiste » à la RTS, ce mot qui sonnait plus compulsif encore que « chercheur ». Regard, lunettes et humour tendanciellement noirs et hyperactifs, David Marín sert des ristretti brûlants de curiosité sur son site « unristretto ! », ou des billets en italien dans « soprattutto.tv ». Il paraît aussi qu’il a décidé désormais de faire chanter son accent andalou-tessinois. Mais chut, projet top secret. Quand on lui demande s’il se trouve normal, il répond qu’il ne trouve pas anormal de ne pas se sentir entièrement normal…

C’est plus que normal, c’est pourquoi ça ne l’est pas et vice versa

Aujourd’hui, si je ne me trouve pas normal, cela est dû – certainement – au fait que je ne me cherche pas normal et comme je ne me recherche pas normal, je ne me trouve pas normal non plus. Ou mieux, j’ai commencé à chercher et à trouver la manière qui me convient pour cohabiter avec la normalité, ou l’idée de la normalité, au lieu de me l’imposer à tout prix. Et si j’ai commencé cette quête, c’est que le normal m’a blessé. C’est normal : c’est pour cela que ça blesse.

Il est vrai qu’à la question “vous trouvez-vous normal?” je ressens une espèce de pression anormale vu que – normalement – je pose l’univers de la normalité à l’extérieur de moi. C’est la norme que j’applique pour que l’idée, la puissance, la dictature de la normalité ne m’envahissent pas ; pour que la normalité ne génère pas en moi le conflit produit par le besoin, à la fois, de m’adapter et de me détacher de la normalité elle-même, de l’univers des normes, de ce qui est normal et de la pression que cela génère ; de l’univers du normal selon les normes qui lui appartiennent, mais qui ne m’appartient nécessairement pas.

Je vis mieux depuis que je conçois la normalité comme un ensemble d’idées, de concepts, voire de réalités posées à l’extérieur, auxquelles je m’adapte si je le veux, ou si je ne peux pas faire autrement, et qui sont matérialisées par des personnes qui adhèrent à ces normes, au normal et au normé, à ces ensembles de normalités.

Je nécessite et je recherche une grande quantité de sens et cette quête de et du sens peut paraître ennuyeuse, exagérée, pointilleuse, pédante, atypique ou anormale lorsqu’elle est observée de l’extérieur. Et parfois même lorsqu’elle est observée de l’intérieur : car lorsqu’elle me fatigue, quand elle m’accable, je me moque d’elle. Ainsi, je me moque de moi, car je sais que je suis très souvent insupportable et que la meilleure manière pour se moquer de moi est de me prendre très au sérieux. Ou alors il arrive – pour ma grande joie – que cette quête de sens soit comprise, voire – oh bonheur! – qu’elle soit partagée. Et là, ça devient amusant aussi puisque les côtés drôles, absurdes, comiques, loufoques de cette quête continue du et de sens – qui par ailleurs n’a pas de sens – apparaissent dans toute leur ironie et leur sarcasme.

En tout cas, c’est cette quête de et du sens qui fait que j’intègre ou que je rejette des normes : il me faut comprendre et partager pour adhérer, pour que les normes m’appartiennent aussi. Ou alors pour observer les côtés absurdes et en rire. Parfois cette compréhension et ce partage ne sont ni entièrement ni seulement rationnels, mais relèvent de l’univers de l’intuition, de l’émotion ou du sentiment. Cela peut me suffire à la fois pour intégrer une norme, pour respecter des normes, pour en rejeter d’autres ; pour m’adapter à des normes que je ne partage pas, ou pour éviter de devoir me plier à des normes qui me débectent, qui me fâchent parce que je refuse le principe sur lequel elles ont été produites ou qui les étayent. Et parfois pour m’y opposer aussi, j’allais presque l’oublier pour éviter de l’admettre.

Malgré cela, j’aime à penser que d’un côté je suis parfaitement normal et que je jouis –justement – d’une position depuis laquelle je peux à la fois accepter et avoir un œil d’égard pour ce qui ne l’est pas, pour la marginalité, pour les marges. Depuis la normalité, je peux observer et comprendre l’exception, la marge, l’atypique, l’anormal et je sais que je peux accepter, comprendre, mais aussi blesser et exclure, de façon volontaire ou involontaire. Je comprends donc la puissance du normal et de la normalité. En revanche, j’aime à penser aussi que je suis aussi dans une marginalité qui m’appartient, que je me trouve aussi dans une marge et que c’est grâce à ceci que je peux comprendre la pression du normal, des normes, du normé, de la normalité et que je ne me sens pas obligé d’être normal. C’est depuis cette position, je pense, que je construis un regard bienveillant, mais aussi décidé et ferme pour ce qui pointe son index, marginalise, exclut et blesse depuis la normalité ; rude et brute aussi, surtout lorsque je perçois, je détecte ou je ressens du mépris.

C’est une espèce de paradoxe permanent qui embrasse à la fois la normalité et l’anormalité. Plus je cherche à être normal, plus je me sens anormal. Plus je pose le normal à l’extérieur de moi, plus je me sens normal ou je me fiche de me trouver normal. Enfin normal : je ne trouve pas anormal de ne pas me sentir entièrement normal. Et vice versa. Mais ceci n’a rien d’exceptionnel, ceci me semble parfaitement banal et plus que normal puisque – justement – tout ceci relève de lanormalité.

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