Normale, Muriel Imbach?

Normale, Muriel Imbach?

Muriel Imbach, metteure en scène / directrice de casting, née en 1978 à Fribourg, mariée, mère de 2 garçons.

Après un passage au conservatoire de Fribourg, au cours Florent/Paris et enfin à la SPAD /Lausanne, Muriel se tourne vers la mise en scène. Depuis 2002, elle a assisté et collaboré avec plus d’une trentaine d’artistes romands: Nicole Seiler, Philippe Saire, Denis Maillefer, Benjamin Knobil, la Cie Pasquier-Rossier, la Cie Pied de Biche ou encore Oskar Gomez Mata…

En 2008, elle obtient le certificat en dramaturgie et performance du texte proposé par l’UNIL. En 2008 aussi, elle fait partie des 15 compagnies émergentes qui créent Matière Première, la vitrine du jeune théâtre vaudois.

De 2010 à 2012, grâce à la Bourse de compagnonnage au jeune metteur en scène (Etat de Vaud et Ville de Lausanne), elle part suivre Galin Stoev au théâtre de la Colline à Paris et accompagne la cie l’Alakran pendant plusieurs mois.

Parallèlement à ses activités de metteure en scène, Muriel s’occupe de castings pour différents réalisateurs (Germinal Roaux, Laurent Nègre, Jacob Berger, Katharina Wyss…), ainsi que pour la Télévision Suisse Romande…

Depuis plusieurs années déjà, avec la Bocca della Luna, elle produit des spectacles singuliers et étonnants.

En 2014, elle crée Le Grand Pourquoi, son premier projet Jeune Public, qui a tourné dans toute la Suisse Romande. En février dernier, elle a créé Bleu pour les oranges, rose pour les éléphants, un poème réflexif sur les questions de genre, inspiré par des discussions à visée philosophique avec des enfants de 4 à 11 ans.

 

« Quand j’avais cinq ans j’ai été invité a un anniversaire.

J’étais tellement fier, parce que c’était ma première grosse fête.

Quand on est arrivés il y avait déjà plein d’enfants.

Il y avait de ce côté, un coin avec des super héros. Impressionnants de force et de muscles. Du bleu, du noir du rouge. Y’en avait partout.

En imprimé sur les serviettes, les assiettes. Puis en vrai pour jouer.

Et de l’autre côté, il y avait un coin avec des princesses… Douces et délicates, belles, magiques. Des paillettes. Du rose bonbon. Sur les ballons, les gobelets, les sachets friandise, le gâteau. Partout partout partout.

Tous les enfants étaient à fond, en train de jouer, soit dans un coin, soit dans l’autre.

Tout le monde s’amusait comme des ouistitis.

Mon papa m’a dit: Vas-y ! rejoins-les !

Alors je me suis avancé au milieu de la pièce. Avec mon petit cadeau sous le bras.

Petite tête.

Puis j’ai ralenti. Je me suis arrêté. Complètement.

Je suis resté là un moment, à regarder.

D’un côté puis de l’autre.

Puis je me suis retourné vers mon papa.

Je me suis mis à pleurer »

(Extrait de Bleu pour les oranges, rose pour les éléphants, création 2016, cie La Bocca della Luna)

Avant d’avoir des enfants, je crois toujours avoir eu peur d’être normale (tout en ne sachant pas exactement comment définir cette « normalité » : médiocrité? tristesse? inexistence? simplicité?… ).

J’ai toujours eu peur de disparaître dans la brume inintéressante de ce qualificatif.

Comme si la normalité était une chose informe, effrayante, impalpable, une sorte de monstre sous le lit. Comme si être normale, cela voulait dire, n’être qu’une parmi les autres. Entrer dans les mêmes cases que les autres.

Alors je riais (très) fort dans les théâtres, j’étais connue pour cela. J’avais les cheveux rouges ou orange, j’étais connue pour cela aussi. Je faisais toujours le choix contraire à ce que je pensais qu’on attendait de moi.

Depuis que je suis mère, mon rapport au normal a changé… je suis constamment tiraillée entre l’envie d’être « anormale » et le besoin de « normalité ». (Il m’est difficile de ne pas mettre de guillemets à ces mots, tant pour moi, finalement, ils veulent tout et rien dire à la fois…)

Je me demande : lorsqu’hier j’ai montré à mon fils qu’il n’était plus le seul garçon à avoir les cheveux longs ici au Danemark, est-ce que ce qui m’a rassurée, c’est qu’il sorte moins du lot ? Qu’ici pour un garçon, avoir des cheveux longs, ça puisse être normal ?! Qu’il soit moins unique et donc moins bizarre pour les autres ?

Est-ce que justement la normalité ne nous permet pas de « souffler » parfois ?

Dans le cas de mon fils, avoir les cheveux longs en Suisse lui vaut une remarque par jour, une moquerie par semaine. Il est ainsi constamment en alerte, prêt à répondre, à se justifier ou à abandonner son rêve de cheveux longs. Ici, ses cheveux ne lui demandent pas une attention constante. Il peut tranquillement se balader, jouer et discuter sans s’en préoccuper. Alors certes, ce n’est qu’une histoire de cheveux, mais c’est aujourd’hui l’exemple le plus évident qui me soit venu à l’esprit.

Être normal -paraître normal -, cela change suivant les lieux, les cultures et les temps. C’est évident.

C’est peut-être cette relativité par rapport à la normalité que j’embrasse en ce moment.

Il y a d’ailleurs ici à Copenhague un magasin qui s’appelle « Normal » et dont le logo est un petit bonhomme qui affirme : je suis unique ! (logo que l’on peut apercevoir une centaine de fois dans la ville…)

Être normal-e ou ne pas être normal-e, telle est bien toute la question. Non ?

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