Normal, Raphaël Pittier?

Normal, Raphaël Pittier?

Né le 3 novembre 1983 à Sion, Raphaël Pittier est détenteur d’un Master ès Lettres de l’Université de Lausanne. Il a publié un récit de voyage (Vagabondage poétique), deux séries de poèmes illustrés (Poëmes du Temps jadis et Poèmes asilaires) et un essai académique sur les Petits Poëmes en prose de Baudelaire (Du Poème au recueil). Il anime un atelier hebdomadaire de poésie au Quartier culturel de l’hôpital de Malévoz et poursuit ses recherches littéraires sur Baudelaire en vue d’un Doctorat.

 

Tout d’abord, il faut relever que LANORMALITÉ et les deux facettes qui la composent (la normalité et l’anormalité) sont des réalités socio-culturellement déterminées. Ce sont des notions relatives qui dépendent de l’individu qui les pensent et du macrocosme avec lequel il interagit.

Ensuite, il faut plutôt voir, à mon avis, LANORMALITÉ comme un continuum sur lequel une frontière arbitrairement placée permettra de délimiter ce qui est considéré comme normal et ce qui est considéré comme anormal. Mais la position de cette frontière sur ce continuum peut varier d’un individu à l’autre, d’une société à l’autre, d’une époque à l’autre. Il s’agit donc plus d’une histoire de degré que d’une histoire d’absolu.

Enfin, il ne faut pas oublier qu’une même personne peut être considérée comme « normale » sous un certain rapport et comme « anormale » sous un autre rapport. Parler d’une « personne normale » ou d’une « personne anormale » est donc difficile, car la normalité définirait globalement la personne, et non plus un de ses rapports à la réalité.

Ceci étant dit, il me semble que je me serais trouvé plus normal au sein d’une autre société et d’une autre époque. J’ai tissé des liens affectifs nostalgiques avec des époques que je n’ai pas connues (au point de vue littéraire, avec la poésie du milieu du XIXe siècle, et du point de vue musical, avec le blues, le jazz, et le rock des années 60 et 70). J’ai un pied dans le présent, et un autre dans le passé. Le présent, parce qu’il faut bien vivre avec son temps et construire du nouveau sur les fondations existantes ; le passé, parce qu’il regorge d’apogées dont nous avons la chance de pouvoir apprécier les vestiges et dont on doit s’inspirer, soit par imitation, soit par opposition.

À la question « Et vous, vous vous trouvez normal ? », je répondrais que je ne me trouve pas normal (par rapport aux standards de notre société actuelle), parce que :

J’ai tendance à exposer mes « anormalies » en premier, convaincu que ce sont aussi ces failles qui font ma force et mon originalité, et persuadé que seuls ceux qui feront l’effort nécessaire pour franchir cette barrière sont dignes de me connaître pleinement.

Je suis un perfectionniste et un idéaliste ; j’ai envers moi-même un niveau d’exigence extrême, du moins pour les projets qui me tiennent à cœur, et il me plaît de privilégier la qualité au détriment de la quantité. Corollaire de ce goût de la perfection : un spleen presque constant face à l’impossibilité d’atteindre cet Idéal absolu.

J’ai une attirance pour la poésie et le Beau en général, qui découle d’une sensibilité exacerbée, cultivée et assumée.

Bibliophile, je lis Les Fleurs du Mal dans leur édition de 1861.

J’utilise encore l’alexandrin dans la plupart de mes poèmes.

Je n’utilise pas de phatiques jurons pour structurer ou ponctuer mon discours, et j’ai du mal à supporter ceux qui le font.

Comme en moi se retrouvent le linguiste et le poète, je ne trouve aucune contradiction à utiliser les techniques rationalisantes de la linguistique textuelle pour décrire et expliquer la sorcellerie évocatoire de la poésie.

Je trouve que les belles femmes méritent des fleurs et des vers de leur vivant aussi.

J’ai éprouvé de l’empathie et même une sorte de jalousie à l’égard de Bertrand Cantat lors de la disparition tragique de sa compagne, persuadé que c’est ainsi que doit se terminer les amours passionnelles.

Mon budget « tabac » est (nettement) supérieur à mon budget « nourriture ».

Je sais plus ou moins taper à dix doigts, mais il m’arrive régulièrement de taper à une main ou à deux doigts parce que je fume un cigare en même temps.

Il m’arrive d’utiliser une plume à bec que je trempe dans l’encrier pour écrire mes poèmes.

Je dors parfois si longtemps que ma montre à mouvement automatique s’arrête.

J’ai un pouls particulièrement élevé : plus de 105 battements par minute au repos. À 18 ans, au test des 12 minutes de course, je montais à plus de 235 pulsations par minute, alors que le rythme cardiaque maximal se calcule normalement selon l’algorithme [220 – l’âge de la personne]. Avec un cœur pareil, il n’est pas étonnant que je ne m’emballe pour un rien…

J’ai fait mentir un psychiatre qui m’avait dit et écrit noir sur blanc que je devais abandonner mes études et me consacrer à une activité plus à mon niveau en obtenant successivement un baccalauréat et une maîtrise universitaires.

Lors de mon arrestation pour conduite en état d’ivresse, j’ai fait inscrire, sur le rapport de police, dans la case qui correspondait à la profession : « poète » (je regrette un peu de ne pas avoir insisté pour le tréma, mais c’eût été trop long à expliquer) ; puis, avant de signer ledit rapport, j’en ai corrigé les fautes d’orthographe et de conjugaison, pour le plus grand bonheur de celui qui les avait faites.

Mon mémoire de maîtrise a été jugé par certaines personnes suffisamment bon pour faire l’objet d’une publication

Après avoir trouvé dans les paradis artificiels des baumes réconfortants à une vie douloureuse, j’ai refermé ce livre pour affronter la vie telle qu’elle est et regarder les choses en face.

Mais à part ça, Madame la Marquise, je me trouve normal…

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