Pour en finir avec Eric Zemmour

Oui, j’ai dit à Eric Zemmour, sur le plateau d’Infrarouge, que son Suicide français ne m’avait servi à rien. Je le redis volontiers, le contenu de ce livre n’a pas enrichi ma lecture du monde et des évolutions sociales que le polémiste se plaît à transformer en régressions mortifères: « Plus d’homme ni de femme. C’est une société du désordre qui a supplanté une société de l’ordre », page 27; « La liberté est devenue l’anomie », page 9; « La soumission, l’humiliation et le malheur sont le destin des hommes », page 133.

Mais contrairement à ce qu’avancent ceux qui plaquent leur logique sur mes mots (« Il faut maintenant vous poser la question suivante: est-il utile de vous lire? Parce que parler de l’inutilité de lire quelque chose, est-ce digne d’une employée d’université? »), je n’ai jamais prétendu qu’il ne servait à rien de lire l’essai d’Eric Zemmour. J’affirme même, au contraire, qu’il est important de le lire, de très près. Pourquoi? Pour comprendre les stratégies rhétoriques qu’il illustre et les raisons de son impact. J’ai lu la plupart des commentaires qu’a générés le débat d’Infrarouge. Un tout petit 10% des critiques, et encore, dialoguent avec les thèses d’Eric Zemmour. Les autres en restent au « spectacle ». Cela pourrait être enrichissant, si la projection ne l’emportait pas sur l’observation. Deux exemples caricaturaux:

« Je suis rarement d’accord avec Zemmour, mais j’avoue que j’ai trouvé jubilatoire qu’il vous remette ainsi en place sur Infrarouge. En fait, il vous a traité sans égard particulier, un peu comme si vous étiez un homme! Ce qui est assez piquant puisque vous revendiquez précisément cette égalité de traitement. Sans doute n’avez-vous pas l’habitude, d’autant que les études montrent que les jolies filles sont – depuis toute petite – davantage préservées, notamment par les hommes qui rient à leur plaisanterie (même quand elles ne sont pas drôles) et feignent d’être d’accord avec elles. L’insensibilité de Zemmour à ces codes sociaux était en fait une mise en abîme particulièrement piquante, avec sa tronche de lémurien énervé face à une très belle intello féministe ».

« Toujours pas digéré hein cocotte tu l’aurais embrassé… »

De tels commentaires, pensés indubitablement comme des insultes, n’en sont pas, en réalité, ne font que traduire – trahir – la vision du monde de leurs auteurs. Bon nombre des attaques personnelles d’Eric Zemmour sont du même acabit. Lorsque ce dernier me lance au début de notre interaction que « je ne l’intimide pas » et que « mon jargon ne l’intimide pas », il ne réagit pas à mes propos, ni ne cherche à rentrer en dialogue avec moi, il dévoile simplement ce qui parasite tout ce qu’il pense/produit, à savoir qu’il ne peut fonctionner en dehors des rapports de pouvoir hommes/femmes, d’une logique caricaturalement patriarcale. Or c’est précisément la perspective du bouleversement de cette logique qui effraie celles et ceux  qui ne se sentent pas prêt-e-s à accepter une certaine « indéfinition », et à se passer de catégories hermétiques et de stéréotypes sclérosants, mais par là même rassurants:

Le stéréotype résume, en une représentation imagée, les assignations auxquelles chaque sexe est renvoyé, psychologiquement, socialement, comme des identités sûres et intangibles. (Geneviève Fraisse, Les excès du genre. Concept, image, nudité, Paris, Lignes, 2014, pp. 43-44)

Une indiscrétion de coulisses me semble à cet égard plus convaincante qu’une énième trop longue argumentation. A l’issue de l’enregistrement d’Infrarouge, les costumes sont tombés, et c’est en dédicaces (au public et aux débattant-e-s!) qu’Eric Zemmour s’est répandu. Un peu effarée, je me suis dit qu’il fallait garder une trace de la mascarade:

– Vous n’avez jamais dû dédicacer votre livre à une féministe, ça vous tente?

– Mais bien volontiers, chère Madame.

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