Quentin Mouron, normal?

Quentin Mouron est un auteur canado-suisse, né à Lausanne, en 1989. Ayant vécu entre l’Europe et l’Amérique du Nord jusqu’à l’âge de vingt ans, il publie en 2011 son premier roman, Au point d’effusion des égouts (prix Alpes-Jura 2012), qui connaît le succès en Suisse Romande. Auteur de quatre livres, il est également chroniqueur pour BeCurious TV. Il vient de publier Trois gouttes de sang et un nuage de coke.

 

Seul, je suis normal

Seul, je suis normal. C’est quand je sors que le sol devient glissant, casse-gueule, carrelé de gouffres. Alors il faut prendre un café, sortir au restaurant, voir du monde. Et il vieillit, le monde. Mes amis deviennent nauséeusement normaux. Ils parlent de la hausse des loyers, de leurs animaux et de leur alimentation. Ils se sont mis au squash, au qi gong, au yoga, ils ont réduit leur consommation d’alcool, ils participent à des ateliers (de poterie, de masques, de bougies, d’écriture, de fist-fucking, d’auto-défense). Ils n’en peuvent plus de materner, de paterner, de bricoler (on ne soulignera jamais assez l’aveu d’impuissance, le chant de petite mort qui git au fond du verbe « bricoler »). Ils vont au théâtre, organisent des thés, se rendent à des conférences (sur la poterie, les masques, les bougies, l’écriture, le fist-fucking, l’auto-défense). Peut-être que ça me manque, à moi aussi. Qu’il y a une nuance de regrets au fond de ma nausée. Que j’aimerais sincèrement être intéressé – passionné, mis en transe – par le squash, le bricolage et l’alimentation. En attendant, il me faut beaucoup de résignation et de vin blanc pour soutenir une conversation. Pourtant, je suis normal, absolument normal, rigoureusement normal… Lorsque je suis seul.